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  • Photo du rédacteurA. Piquion

L’imposture


Septembre 2021


Si la psychanalyse n’est pas populaire, ce qu’il faut comprendre dans le sens de ce qui séduit le plus grand nombre, c’est bien sûr en raison de la subversion qui la constitue et qui l’a, du reste, révélée à elle-même. En suivant la voie qu’il ouvrait, Freud a mis au jour ce qui ne l’avait pas attendu pour opérer : la société, faire société est la conséquence logique de notre refoulement, de ce que nous ne voulons pas savoir. En posant l’acte qui consiste à dire « il y a l’Unbewusst », Freud fait le pas sans retour qui fonde une éthique.

Voilà qui donne plusieurs pilules à avaler. Une première, c’est qu’il y a là quelque chose dont nous ne sommes pas maîtres. Première entaille. Une deuxième, c’est que ce quelque chose n’est pas sans conséquence. Plus encore, ce que nous appelons « le monde » est précisément conséquence de ce quelque chose que nous ne maîtrisons pas, et qui pourtant nous constitue : notre refoulement lui-même. Ce que, là encore, nous feignons d’ignorer. Et, par-dessus le marché, ce refoulement est nécessaire à notre condition de sujet parlant et désirant, pur effet du signifiant. C’est ce « ça ne va pas », ce « ça n’est pas ça » permanent et irrémédiable, cet impossible, qui structure notre monde et soutient une éthique. Il y a éthique parce qu’il n’y a pas de retour au pas que l’on a fait devant soi. C’est une figure de l’impossible. Il n’est pas sans conséquences. L'impossible est du même coup la condition de toute possible communauté, non sans culpabilité. C’est assez de déception pour jeter sur la psychanalyse, la vraie, un pudique voile de discrédit, parfois fort bruyant.

 

Si elle n’est pas populaire, c’est aussi parce que son nom est abusivement détourné par une armée d’imposteurs qui trouvent, dans la figure imaginaire du psychanalyste, une consistance sociale satisfaisante.


Or, on devine bien, ne serait-ce qu’au titre de ce qui s’est dit plus haut, que l’enjeu de la psychanalyse est politique : elle oeuvre à l’avènement du sujet, c’est à dire à sa désaliénation, bien loin de la gloire rendue à l'individu contemporain auto-promu.


Il est indispensable, pour qu’il y ait analyse, que l’analyste ait lui-même fait cette traversée. Qu’il soit passé par ce désarrimage, la destitution de ce qu'il croyait encore hier être sa certitude sociale (le moi n’est plus ce qu’il était…), l’inconsistance de l’Autre, l'élaboration du fantasme (pas ses scénarios mais le cristal de sa structure, soutien du désir). Il aura été conduit à se reconnaître dans le reste inextinguible de son symptôme, seule consistance sur laquelle il puisse désormais s’étayer.


Oui, ça en fait ! On pourra bien sûr lire mille ouvrages sur ces sujets. Il y en a bien plus encore. Mais les heures de lecture ne feront pas l’analyste. Pas plus qu’un passage sur le divan, aussi long soit-il, s’il n’est pas ponctués des nécessaires temps logiques qui l’auront scandé. Il faut, pour qu’il y ait de l’analyste, que l’analyse lui soit passé par le corps. Qu’il y ait été question, à un moment ou un autre, de sa peau, sur une modalité inédite, imprévisible, épiphanique et terrifiante. Car, oui, l’automaton signifiant est inhumain et ses enjeux de jouissance sont incalculables. En un mot (!), il faut que vous ayez fait l’expérience vibrante de la vacuité structurelle qui est notre seul commun. Ce vide, réel, est notre véritable universel. C’est lui qui fait chacun de nous Un, ce que nous ne voulons pas savoir alors même il est ce qui est le plus nous. Depuis cet ailleurs-là, hors sens, s’instaure une relation renouvelée au registre symbolique, celui des signifiants qui nous a toujours déjà déterminé, qui est notre seul et unique media vers le Réel.


C’est dans cette succession logique (parfois au mépris du chrono-) qu’advient pour le sujet la possibilité d’accès à sa propre parole, celle qui se découvre à mesure qu’elle s’énonce. Alors, peut-être, dans les conséquences de ce temps logique apparaîtra une autre passe, qu’on aura appelé à l’époque d’une certaine « Proposition » de Lacan,« la » passe, cherchant un temps à formaliser le passage à la position de l’analyste. Elle n’est pas, contrairement à ce qu’on voit pratiquer aujourd’hui sous certaines formes dérivées, un examen - voire un droit d’entrée, au prétexte duquel viennent se verser les quelques signes d'allégeance attendus du Maitre du moment. Mais le Discours de l'Analyste n'est pas le Discours du Maître. Il est justement son envers.


Pour qu’on s’y engage, dans cette passe (comme on s'engage dans celle d'Ouessant), encore faut-il qu’elle soit apparue, ce que l’on saura toujours après-coup. On ne la décrète pas. On s'y trouve pris avant de savoir ce qu'on y fait. On constate à ses conséquences qu’elle se sera imposée. Si on s’y engage, alors oui, il ne sera pas inutile de lire un peu, ou un peu plus.

 

Quant à la fin de l’analyse, elle se marque de bien des traces, et Lacan en aura donné plusieurs coordonnées. Disons ici que la fin d’un certain type de relation ne se confond pas avec la fin du travail, qui, lui, ne s’arrêtera pas. Il est infini. L'analyse est finie dans sa forme protocolaire, contractuelle, mais elle est infinie dans la forme autonome qu'elle se donne pour suite. C’est un sens du titre donné à l’article de Freud « Analyse finie, analyse infinie ». Et pour une raison fondamentale : le savoir se jouit. La Vérité, frontière du Symbolique vers le Réel, ne peut être que mi-dite. C'est son versant symbolique. Son autre part, réelle, n'est donc que mi-jouie. C'est là qu'elle fait échec au Savoir. Le "pas-tout" du savoir, voilà l‘infini de notre limite. Et c'est bien parce que tout de la Vérité ne peut pas passer du côté du Savoir qu'elle peut faire structure aux liens sociaux qui nous agissent.


Un autre problème encourage l'imposture : le dispositif analytique fonctionne. L'acte d'une parole adressée à un lieu de savoir n'est pas sans effets bénéfiques immédiats. Mais ils n’ont, dans un premier temps, pas grand chose à voir avec la qualité de l’analyste. C’est le dispositif qui fonctionne, qui que vous soyez. De nombreux patients se satisfont de cet allègement soudain de symptôme, satisfaction souvent accrue de l'illusion d'avoir "fait une psychanalyse". S’engager dans une analyse, la sienne, est une autre histoire. Et c'est un engagement. Il y sera là très vite question de l’analyste et de la façon très précise dont il occupera cette place. Celle notamment du non-être. Car, non, il n’y a pas d’être de l’analyste…. Si ceci sonne à vos oreilles, il se pourrait que vous soyez - ou regardiez - du côté du psychanalyste. Si cela reste une pilule à avaler, une énormité pontifiante ou une évidence navrante, il est temps de vous rappeler à une certaine éthique, c’est à dire à la reconnaissance d’un impossible. Chacun le sien. Etre analyste sera aujourd’hui le vôtre. Cela n'a rien de définitif. Et puis, rassurez-vous. En terme d'impossible, l’analyste a lui aussi le sien.

 

Enfin, puisqu’il n’y a pas d’être de l’analyste, il ne peut pas y avoir « d’entre soi » de psychanalystes. Lacan disait que les analystes se reconnaissent « entre soir ». Il n’est pas question d’image, de représentation, d’être, de fonction sociale, de jargon lunaire...

Ils se reconnaissent "entre soir", dans une certaine obscurité, celle de l'ombre passante du sujet, effet du signifiant.« Y’a d’l’Un...et rien d’autre » (aura encore dit Lacan). Façon de dire qu'il n’y a pas, hors pratique, de garantie mesurable d'une quelconque reconnaissance, qu'il s'agisse de psychanalystes, de musiciens, de photographes. Tout juste reconnait-on hors pratique l'ombre glissante, palpable mais insaisissable, d'un sujet apte et habile à entendre et voir depuis une place extrêmement précise. C’est à ça que, dans l’obscurité, au sortir de nos pratiques, nous pouvons nous reconnaître.

Savoir qu'on ne peut pas transmettre délibérément grand'chose de son éprouvé est un bon baromètre à blabla...

Il y a donc la psychanalyse, des psychanalyses, une par une, et puis….des psychanalystes, hélas trop rarement un par un. La psychanalyse ne souffre donc pas de ce qu’elle est. Encore faudrait-il qu’elle ait l’espace et le temps pour le faire entendre elle-même. Elle souffre de ce qu’elle n’est pas, et qui, pourtant, et en son nom, a pignon sur rue.


 



Merci pour votre intérêt !

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