top of page

Réponse à une question (Uzès)

  • Photo du rédacteur: A. Piquion
    A. Piquion
  • 30 juil.
  • 5 min de lecture

ree

Réponse à une question reçue suite au séminaire d’Uzès (juin 2025) https://www.youtube.com/channel/UCznmkO9yT_O7T5gdHYXuwlg/

— Vous avez dit qu’un signifiant n’était pas seulement un mot, mais une matière sensitive, aussi bien un geste, une couleur... mais pour parler de ce geste, j’utilise des mots, n’est-ce pas ? Et puis matière, matérialité… quel rapport avec les objets du discours courant ?

— Les objets du Discours Courant sont modelés par du signifié, signifié derrière lequel toute portée signifiante est éteinte. C’est là la force et le projet de ce Discours (qui est le Discours Capitaliste tel que mis à jour par Lacan) : le « sujet » y est agi de façon à croire qu'il oriente lui-même la chaîne signifiante, prétendument neutralisée, en un sens qui lui complaît. Refusant d'être assujetti au signifiant et à ses lois, il décide du signifié auquel il prétend ajuster un signifiant qu’il invente ou détourne. En naissent des significations et objets adéquats. Derrière eux, la satisfaction qu'ils procurent restent l'objet de convoitise suprême. C'est elle qui fera plâner sur le sujet une ombre honteuse. Car se laisser berner par les idoles qu'il modèle lui-même ne va pas sans honte. Être vu restant un enjeu permanent du discours dominant. En guise de diversion, le sujet du discours dominant (DC) n'hésite pas se draper d'un vibrant et empathique sentiment de culpabilité : de ces objets il ne jouit pas assez, ou mal, ou de façon trop immorale. Il va de soi que honte et sentiment de culpabilité sont eux-mêmes pourvoyeurs d'un surcroît d'être, dont le sujet du DC se repaît. Rien n'échappe à ce commerce. Et là encore, ce ne sera jamais assez. « Profite bien ! », "j'ai droit à"... La déliaison sociale qui s'ensuit se camoufle derrière les concepts (signifié) vertueux et altruistes du moment : " fête ", " inclusion ", " communauté ", " planète " ...

Il faut le redire dès que possible : le sujet du Discours Capitaliste (dans son exclusive acception lacanienne) se produit lui-même comme objet de sa propre satisfaction. Autofondé, décrétant ses déterminations, " choisissant " son identité, il se produit pour d’autant mieux se consommer. Il est devenu son propre objet, adéquat bien qu’illusoire, adéquat parce qu’illusoire, ne souffrant rien du manque-à-être qu’induit sa position de parlant, qu'il refuse.  

La longue histoire de ce Discours (qui a produit le capitalisme, et non l'inverse) amène actuellement le déni de la dimension réelle du corps à prendre l’apparence imaginaire de sa glorification (qui n'est qu'une camisole). Le déni du corps, c’est inévitablement, et d’abord, le déni de la dimension de la parole, structurée par la coupure qu’elle impose au parlêtre. Il en est sexué. Sexion. Coupure. Perte de jouissance, perte de sens, impossible à dire. Perte. Au Réel du sexe est aujourd’hui substitué l’Imaginaire normatif du genre.

Je parle en général de matérialité, et rarement de matière. Mais je ne suis évidemment pas à l’abri d’un lapsus. C’est le cas de le dire, car la matière nous reste étrangère. La matérialité est seulement une de ses propriétés, propriété que nous pouvons reconnaître parce que nous en pâtissons. De la matière, je ne connais que sa matérialité. Non son entièreté, qui me serait fatale (non loin de das Ding). C’est la matérialité de la matière que nous percevons, dont nous jouissons. Disons plutôt qu’elle nous jouit. Plus encore, elle nous aura joui. A la différence du sujet décrit plus haut, qui jouit du seul signifié, nous sommes d’abord joui par le signifiant, qui nous entame et à la fois nous exalte. C’est ce battement, cette oscillation qui nous cause, et s’appelle parole. Notre séance d’Uzès est passée par là : la matérialité des signifiants nous altère, nous rend Autre… notre corps en est fait Autre, coupé (distinct) autant que coupant (sphincters et orifices). Non seulement le corps est parlant, mais plus encore, il est parole. D’autre part, si le signifiant nous altère, il faut rappeler que nous l’altérons nous aussi. Le mot que vous entendez, qui vous pénètre, n’est pas celui que j’ai dit. C’est là un malentendu qui fait notre malédiction.

Ainsi donc la matérialité est, de la matière, ce dont je peux faire l’épreuve sans pouvoir, pour autant, en faire les preuves. Car le signifiant ne peut pas se dire lui-même. Il est troué, et nous avec lui, évidés nous aussi de toute possibilité de nous dire. Nous ne cessons de faire l’épreuve de ce trou. Absence de preuve, lieu d'un hors-sens. Ab-sens comme le dit Lacan. C'est une des figures de la castration. Et une condition de toute création digne de ce nom...il en était aussi question à Uzès et j'y reviendrai d'autres fois.

Sur le plan psychanalytique, nous ne connaissons donc la matière qu’à sa matérialité, dont nous faisons et l’épreuve, et les frais, matérialité dont nous jouissons, et plus encore, dont nous aurons joui. Et cette matérialité est discontinue. Si elle ne l’était pas, nous ne pourrions pas en jouir, en pâtir, à savoir y être soumis et en être causés. Nous serions immergés dans une compacité avec laquelle nous serions confondus, au point de ne plus avoir de corps distinct. C’est le champ de la structure psychotique qui s’ouvre ici, qui est une autre façon de faire avec la castration.

Un signifiant est une qualité que nous éprouvons. C’est un segment dont la propriété fondamentale est de ne pas en être un autre. Le signifiant est le manifeste de la différence, différence dont nous sommes l’effet. Ce que n’est évidemment pas le signifié, qui tend irrésistiblement au lissage, à l’unification, à la fusion, à la suture. Ne pas perdre de vue que le Discours Capitaliste (dans son acception exclusivement lacanienne) est une structure qui procède justement par confusion. La plastique du signifié sied bien mieux au narcissisme désespéré de notre temps que l’énigmatique altérité du signifiant et le manque qui lui fait cortège.

En ce qui concerne la dernière partie de votre question, tout de notre expérience humaine est scandée par le langage et son incorporation. Si nous voulons parler d’un signifiant, nous n’avons aucune autre ressource que d’en passer par d’autres signifiants. Nous passons à vrai dire notre temps à cela quand nous essayons en vain de nous faire comprendre par exemple… sphère comprendre, pour reprendre une équivoque de Lacan… horizon d’un monde clos et circulaire, saturé de significations, où tout « fait sens ». Nous continuons à ne pas vouloir savoir qu’il n’y a que du discontinu, pas de mot de la fin, de vrai sur le vrai, qu’un signifiant ne peut pas se dire lui-même, que la parole ne se refermera pas. Moebienne, elle se déploie autour d’un axe vide qu’elle révèle à mesure qu’elle s’y enroule.

Et puis les signifiants s’adressent à d’autres signifiants, et non à quelqu’un. Qu’ils soient gestes, mots… ils se convoquent les uns les autres, et notre volonté de les capturer n’y changent décidément rien. 

Commentaires


Merci pour votre intérêt !

Merci pour votre intérêt !

(c) Tous droits réservés

© 2023 par Musique Classique. Créé avec Wix.com

  • w-facebook
  • Twitter Clean
  • w-youtube
bottom of page