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La sape du père

  • Photo du rédacteur: A. Piquion
    A. Piquion
  • 9 juin
  • 3 min de lecture

La sape, ça marche. 

Et celle de la place du père aura bien fonctionné. Elle aura fait croire à la dissolution des principes que seule cette place peut générer : précédence, autorité, altérité. Trois minorations de notre prétention, qui font pourtant notre condition. La précédence de ce qui a toujours déjà été, l’autorité de la Loi, pas celle du quotidien mais celle bien plus exigeante de la parole, et l’altérité, conséquence des deux précédentes, qui me révèle étranger à moi-même autant que l’autre m’est inaccessible. Ces trois contraintes, héritées malgré nous, fonde le lien social. Elles font de notre humanité un lieu qui reste devant nous, à gagner, à conquérir.

Le dogme libéral, mû par son sacro-saint projet de neutralité axiologique, fait reposer depuis quelques siècles les coordonnées de ses brebis sur deux axes officiels : le droit et le marché. Bien qu’ils aient tout deux connu plusieurs avatars, l’un reste complaisant et vertueux, l’autre impitoyable et concurrentiel, tout deux également fidèles et solidaires. Le libéralisme politique (progressisme) et le libéralisme économique (libre concurrence) marchent en effet main dans la main, bien que feignant le plus souvent de se tourner le dos. Show business oblige, il faut bien répondre aux fantasmes d’opposition. Troisième tiers récent à ce cocktail : la science. Bien que la neutralité axiologique fut destinée en son temps à une mise à l’écart du religieux, elle aura finalement contribué à son retour, sous la forme (non exclusive) du discours scientifique, aujourd’hui appelé science, lieu des croyances désespérées les plus avides de sens. 

Face à un tel arsenal, cible d’injonctions sociétales qui dissimulent mal leurs enjeux commerciaux et électoraux, l’individu de notre société libérale (nous) ne peut plus trouver dans la parole le seul étayage qui lui permettrait de cerner sa position de sujet, position qui trouve sa puissance dans son inconsistance-même. Cette puissance est notamment celle du désir, qui est la condition du sujet. 

Au contraire, suite aux dissolutions à l’œuvre, l’individu libéral (nous) est enjoint à simuler en lui-même les points d’appui qui lui permettraient de croire à l’identité qu’il est sommé de se choisir. Ainsi se consacre un personnage crédule et docile, ne jouissant plus que de lui-même, se produisant autant qu’il se consomme. Convaincu d’oeuvrer à une émancipation sociale, ce mutin de Panurge (Muray) éminemment gouvernable devient la cible idéale offerte au cynisme des marchés. 

Ce développement de quelques siècles n’a pu s’opérer sans la sape du Père, qui est un lieu, une place, celle d’un au-delà du sens que seule la parole convoie et réalise. Il ne s’agira pas de trouver quelque responsable à cette déliquescence. Elle n’a que des animateurs. Il est plus difficile d’admettre qu’elle résulte d’un glissement de structure dont nous sommes tant les effets que les nourrices. 

Père est un principe qui n’appartient ni au registre de la preuve (droit, science), ni à celui du commerce (droit, marché). Il est un fait de parole, dont il est aussi le manifeste, et il suppose une foi. Non une croyance religieuse en un contenu, mais une foi en la parole elle-même, à la fois infinie (parabole) et limitée, en tant qu’elle n’apportera aucune garantie.

C’est par ce paradoxe, qu’elle est seule à porter, qu’elle peut ouvrir aux avènements d’une nouveauté véritable pour le sujet. La parole évoque et convoque. Elle n’informe pas plus qu’elle ne prouve.


Père est un nom de ce paradoxe, celui d’une limite portant en elle-même son propre au-delà, limite que nous nous efforçons de combler (progressisme) alors qu’elle est la condition de notre progrès : nous avancer plus près du trou de notre propre inanité.  


Malgré le mépris qui lui est de mieux en mieux réservé, Père reste le seul principe par lequel nous faisons l’épreuve de ce vide, qui nous terrifie et nous aimante. C’est depuis l’arête de cette brèche, debout sur son bord, que nous pouvons aimer, travailler, créer. Trois raretés.


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