Une figure du Réel
Il faut, pour l’attraper, pouvoir considérer un élémentaire qui souvent fait horreur : les mots et les choses ne se correspondent pas. Le mot rate toujours ce qu’il vise. Entre ce que je dis et ce que j’éprouve, il y a un écart. Entre ce que je dis et ce que je veux dire, il y a aussi un écart. Entre ce que je dis et ce que tu comprends, il y a encore un écart. Et il est irréductible. Les deux bords de cette fissure ne peuvent se conjoindre. Il est structurel et sans substance. Je n’y ai accès que par le logos : je ne peux que le déduire du constat de ces ratages. Il est une figure de ce que Lacan a appelé « le Réel », qui est, bien entendu, d’un tout autre tabac que la réalité.
Bien qu'il échappe à la saisie, cet écart infranchissable est pourtant la condition aussi bien que le lieu de notre possible rencontre. Il est notre seul "commun", que nous pouvons seulement déduire de ses effets. Il est ce qui, nous séparant, nous rassemble, non loin de l'agapé. Il est notre relation.
On trouvera bien des exemples qui feront très tôt apparaître leurs enjeux politiques.
Au plan de la pratique musicale, au plan pictural aussi, le compact ne vibre pas, qu’il soit plein ou vide. Pour qu’il y ait rencontre, pour que « ça sonne», que ça vibre, il faut du disjoint, du discontinu. Le "ça sonne" est la conséquence radicale d'un hétérogène qui risque son après-coup. Bien jouer, c’est toujours d’abord bien savoir être joué.
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