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L'expression, soeur de la logique

Un réseau de différences. 

 

Prémisses

 

Rappelons seulement qu’un langage est notamment caractérisé par l’association de deux éléments (signifiant et signifié). L’emploi de ce vocabulaire diffère suivant les courants de pensée. Nous les utiliserons dans la signification qu’en a donnée Saussure. 

Pour cerner le signifiant, il nous suffit ici de dire qu’il est un support matériel (sensible) qui convoie un signifié, immatériel. Pour cerner le signifié, on dira qu’il est fait de signification et de sens. Dans un langage, un signifié est toujours porté par un signifiant. Chez Saussure, ce couple forme un signe. 

Un seul signifiant peut convoyer plusieurs signifiés : cet homme est un ours. C’est une métaphore, un seul tronc signifiant pour plusieurs branches de sens.  

Mais un signe peut aussi en appeler un autre : boire un verre (son contenu), une voile à l’horizon (un bateau). C’est une métonymie, une continuité linéaire, de proche en proche. 

Un signifiant, enfin, peut être équivoque et recouvrir plusieurs sens : la pêche.  

 

L’instabilité propre à ces jeux de sens (arborescences, glissements, polysémies), permanents dans la langue parlée comme dans la musique, les rend insaisissables au premier abord. Elle réclame que nous interrogions d’abord ce qui les porte et les soutient : le signifiant. 

 

Le cri et le gendarme

 

Donnons-nous le support de deux exemples en commençant par celui, célèbre, du premier cri jamais apparu. 

C’est ce cri qui a révélé le silence. Il n’est pas apparu sur fond de silence, mais l’a révélé en tant que tel. Ce qui précédait le « bruit-cri » ne pouvait pas encore être une absence de bruit puisque la notion même de bruit n’était pas encore advenue. Quand apparaît le « bruit-cri », ce qui d’un souffle le précédait change de statut : il devient un « sans-bruit ». Autrement dit, le surgissement du « bruit-cri » fait apparaître deux qualités sensibles : lui-même et le « sans-bruit » qui l’a précédé. C’est dans l’après-coup de l’apparition du bruit-cri qu’apparaît le sans-bruit qui le précédait. Le premier dans l’ordre chronologique n’est apparu que dans l’après-coup logique du deuxième. C’est la rencontre de ces deux qualités sensibles qui en a fait des signifiants. Orientés l’un vers l’autre du fait même de leurs apparitions, ils ont pris dans le même après-coup les sens du cri et du silence. 

Ce bref exemple épouse par nécessité la structure d’un mythe : il rend compte d’un temps originaire, d’un futur antérieur auquel personne n’a jamais assisté, bien que chacun en subisse les conséquences. Il est le récit nécessaire d’un moment logique qui nous humanise. C’est cette logique qui va nous conduire. Nous verrons un peu plus loin que c’est ce moment-là qui ne cesse de se répéter, à la façon d’une commémoration, au cours de ce que nous appelons nos répétitions.

 

Poursuivons tout de suite avec un gendarme. Celui qui bat les trois coups sur le théâtre et signifie l’imminence du lever de rideau. Le bruit d’un coup de bâton sur un plancher peut prendre bien des sens. Pour prendre le sens d’un coup de gendarme, il doit se mettre en relation avec un autre évènement sensible. Celui-ci le précèdera. Ce sera un roulement. Il annoncera que le coup à venir sera le premier coup de gendarme, appelant le deuxième, qui tendra la main au troisième. Voici une chaîne de quatre signifiants, appelée Les Trois Coups, chaîne qui fonctionne maintenant elle-même comme le signifiant qui s’accroche à la signification convenue : l’imminence du lever de rideau. Nous verrons ce que ce signifiant doit à sa signification, cette qualité particulière du sens. 

 

  • Déjà des conclusions

 

Prenant appui sur ces deux premiers exemples, notre début de parcours trouve déjà d’importants jalons. 

 

Pure différence tranchante

 

Ce qui définit d’abord un signifiant — un coup de gendarme, un bruit, la sonorité d’un mot — c’est de ne pas en être un autre. Il est pure différence. Le son Mo n’est pas le son Po. Le premier coup de gendarme n’est pas le deuxième. Pure différence, un signifiant peut être une nuance, un pas, une durée, un mot, le son d’une phrase entière, un intervalle, une citation, une forme empruntée à un style antérieur, un mouvement entier dans l’appréhension de la grande forme, plus largement encore tout évènement sensible se mettant, du seul fait de son apparition, en relation avec un autre qu’il n’est pas. Un forte subito doit son existence à la différence qui le distingue de la nuance qui le précède (et qu’il n’était pas…). 

Rien de plus. 

N’étant que différence, un signifiant est tranchant de sa différence même. Rien ne reste longtemps sur son fil qui ne s’oriente d’un côté ou de l’autre de la lame pour y prendre un sens. On dit que c’est de ce fil que l’épée d’Alexandre (dit Le Grand) trancha le noeud gordien. Celui de la parole, donc.

 

 

Une relation rétroactive, autonome et logique

 

Pour exister, puis prendre un sens - une direction dans l’océan des signifiés, un signifiant a besoin d’entrer en relation avec un autre signifiant. Dans l’exemple du cri, l’apparition du deuxième fait apparaître le premier dans un après-coup. Plus encore, l’apparition du deuxième a suffi à faire apparaître le premier après-coup. C’est là qu’ils se sont tournés l’un vers l’autre, qu’ils ont pris sens l’un de l’autre, ce que nous avons reçu comme conséquence a posteriori de leur rencontre. Leur mise en relation nous a échappé. C’est là son caractère fondamental : c’est une relation autonome qui ignore la chronologie linéaire du temps. Elle est d’ordre logique (phénoméno-logique).

 

… à personne

 

Le pas suivant est plus scandaleux encore : tenant son existence de sa seule différence (ce qui le rend autonome dans sa mise en relation avec d’autres), un signifiant ne s’adresse donc… à personne. Il faudra attendre qu’il prenne un sens pour devenir alors signe. C’est ce signe, et seulement lui, qui signifiera quelque chose pour quelqu’un. En attendant, et aussi aride que cela puisse paraître, un signifiant ne s’adresse qu’à d’autres signifiants. Ceux qu’il n’est pas.

 

 

Équivoque et plastique

 

Les trois coups de gendarme ont fonctionné, sur scène, comme signifiant. Si nous souhaitons en rendre compte par la parole, nous parlerons des Trois Coups. Au plan phonétique, le signifiant des trois coups existe sous la forme de létroicou, cette seule matérialité sonore suffisant à son existence opérative. Dans la langue parlée, létroicou peut tout aussi bien se diriger dans le sens d’un cou étroit. Tout dépend des signifiants qu’il rencontre et qui orientent son sens. 

Cette plasticité est une conséquence de son autonomie. On parlera alors d’équivoque signifiante, dont la polysémie (pêche) est l’un des visages.

 

C’est au titre de cette équivocité, de cette plasticité, qu’un forte, ou une neuvième de dominante, un mouvement de la tête, un phonème, autant d’évènements sensibles, prendront des sens différents, toujours dans l’après-coup de leur rencontre avec d’autres signifiants. Il sera certes utile d’en référer au contexte en guise d’explication, mais on aperçoit maintenant, muni de la notion d’après-coup, que la relation logique du texte et du contexte ne fonctionne peut-être pas en sens unique.  

 

  • Le sensible, le chronologique et le logique

 

Il n’est pas nécessaire qu’un signifiant soit advenu dans la chaîne chronologique pour qu’il y opère. 

 

L’aimant

 

La rhétorique musicale de certains répertoires occidentaux polarise les premiers temps de mesures d’un puissant pouvoir structurant. Une phrase musicale y est très souvent gouvernée, polarisée, par le premier temps d’une mesure à venir. Ce premier temps opère — il oriente le discours qui le précède — alors qu’il n’est pas encore apparu dans la chaîne chronologique du discours. Avant d’apparaître dans cette chaîne en tant qu’événement sensible (signifiant), il n’existe que dans un espace logique, celui de la structure grammaticale de ce langage musical-là, et c’est de là qu’opère son pouvoir. Bien qu’il ne soit pas encore « tombé » dans la chaîne chronologique, il tend la phrase vers sa chute à venir. Une fois le premier temps advenu, cette même phrase, qu’il attirait, s’éclaircit rétroactivement. Au point qu’on dira parfois que la phrase se résout. Au plan chronologique, il agit deux fois : la première fois quand il aimante la phrase, la deuxième fois quand il apparaît. Son action signifiante a une première conséquence… dans le passé (l’aimantation de la phrase), avant d’en avoir une deuxième quand il « tombe » (l’éclaircissement rétroactif). On peut s’amuser alors en parlant parfois de retombée.  

 

Nous faisons quotidiennement les frais de ce potentiel rétroactif du signifiant. C’est en son nom qu’il est si agaçant de se voir « couper la parole », puisqu’il n’y a de sens à une phrase que dans l’après-coup de sa fin. Couper la parole, c’est empêcher la retombée dans le discours sensible de ce qui, déjà, y a opéré. Avant notre amour-propre, cramponné au sens, c’est bien l’ordre logique qui est à ce moment-là chahuté. Et ça agace !

 

Trois temps

 

Les Grecs comptaient au temps trois dimensions. Le chronos, le temps qui passe, horizontal, celui de la chronologie. L’aiôn, le temps vertical, un temps qui ne s’écoule pas, celui de la logique. Et le kayros, l’instant de la rencontre de ces deux axes, chronologique et logique, à la croisée de l’horizontal et du vertical, le temps de l’opportunité, de l’évènement. Muni de cette topologie, on peut dire que le discours se déploie dans le chronos. Il y est gouverné par les signifiants dont la logique autonome habite l’aiôn, qui prennent sens dans l’instant de cristal du kayros, et replongent dans le chronos, comme y retombent les premiers temps musicaux.

 

Une citation, une récurrence, une diminution ou un « tempo primo » sont des exemples d’évènements qui entrent en relation avec un signifiant apparu plus tôt dans le défilé chronologique du discours, auquel ils donnent, du même après-coup logique, un sens nouveau, rencontre qui les orientent eux-mêmes vers un nouveau sens.

 

Il en manque un

 

« Il nous manque le poids de la chose ». L’expression fait référence à un objet du passé, à ce qu’il fut pour les gens de son temps. D’après les témoignages, on saura que l’objet pesait, on saura peut-être combien il pesait (le poids qu’on aura déduit de la masse), mais on ne saura jamais comment il pesait sur les corps qui en ont éprouvé le poids. Eux le savaient. Le poids de l’objet est en effet un savoir, mais c’est un savoir particulier : il s’éprouve. Et aucun signifiant ne vient s’accrocher à cet éprouvé pour le convoyer. Nous n’avons pas besoin de voyager dans le temps pour reprendre cette phrase à notre compte : nous ne parvenons pas dire « vraiment » l’éprouvé de nos corps. Le signifiant de l’éprouvé nous fait défaut. 

 

En compensation de ce petit deuil, cette place vacante garantit la mobilité de l’ensemble. Sans cette vacance, l’ensemble des signifiants serait plein, figé, immobile. Le jeu du taquet, dont la place vide permet aux autres pièces de se déplacer pour venir constituer une image, en donne une représentation. Ce signifiant manquant nous tient donc éloignés d’une totalité, mais nous offre du même coup la possibilité de la mobilité, la possibilité du sens. Il sera aux premières loges de notre prochain chapitre.

 

  • Point étape 1

 

Pour nous y diriger, une conclusion d’étape : la relation logique des signifiants entre eux n’est subordonnée ni à leur contiguïté temporelle ni à leur apparition sensible. Nos mémoires — au minimum — en font quotidiennement l’expérience, avec leurs oublis, associations et réminiscences. Ne valant que par leurs différences relatives, les signifiants ne s’adressent qu’à d’autres signifiants. Ils ne s’adressent pas à quelqu’un. Leur circulation enfin est possible (et nécessaire) grâce à l’inexistence de l’un d’entre eux. Et ces quelques propriétés suffisent à animer une ronde vertigineuse et incessante. 

 

À ce stade, nous pourrions dire, déçus, que nous sommes les témoins impuissants et passifs de cette ronde qui nous entraîne et n’a pas besoin de nous pour fonctionner.

Et ce serait assez juste… Nous mettons néanmoins dans ses rouages un grain de sable : celui de notre énonciation. Elle n’est pas sans rapport avec l’empreinte dont le signifiant marque nos corps. Car parler, c’est incorporer du signifiant.

 

Le langage incorporé

 

 

  • L’empreinte et la trace

 

Nous sommes travaillés par le langage. C’est la métaphore du labour qu’on peut entendre ici : la matérialité des signifiants travaille le champ du corps par lequel elle passe. Nous la recevons, et en usant, en restituons quelque chose. Ce réseau de différences sensibles nous traverse le corps. Ce faisant, elles y laissent une empreinte, une trace. Cette trace est un en-plus (on garde une trace), aussi bien qu’un creux (empreinte), un en-moins. De notre côté, un gain et une perte. De l’autre, le signifiant est lui aussi altéré, puisqu’il a laissé quelque chose au cours de cette traversée (une empreinte). Il n’en sort pas tel qu’il y est entré. Cette incorporation du signifiant (qui fait la langue parlée vivante) nous transforme donc autant que nous le transformons. Il y a des deux côtés de l’altéré et de l’altérant. Nos sens font l’épreuve des signifiants et les signifiants font l’épreuve du sens. Incorporés, ils mettent nos sens en tension et se chargent de sens. C’est là notre gain : l’exaltation des sens et notre possibilité de signifier. Nous ne tarderons pas à cerner la perte qu’il nous inflige, l’en-moins du creux de l’empreinte qui nous affecte. Le poids de la chose et son impossible nous mettait déjà sur cette voie.

 

  • Le paradoxe de l’énonciation 

 

Dans la parole, l’acte de dire (l’énonciation) est noué à ce qui se dit (l’énoncé). La matérialité de ce que nous donnons à entendre est irrémédiablement tissée à ce qui se comprend. Les fibres en sont indémêlables et leur séparation chronologique est impossible. Pour les distinguer, il faut à nouveau en appeler à la logique.

 

Un corps éprouvé

 

L’énonciation, cet agir, c’est donc l’acte de ma propre parole lui-même, avec ce corps-là, cette voix-là, ses inflexions et scansions, ce regard-là… et inévitablement, cet interlocuteur-là (ce partenaire-là…). C’est l’ensemble des particularités matérielles de mon dire. On pourrait dire qu’elle est le delta sensible par lequel se restituent les signifiants qui ont traversé le corps qui parle. Elle se verse dans mon énoncé, elle irrigue mon dit du fait même que je suis en train de dire. 

 

Or, nous avons aperçu que le signifiant de l’éprouvé n’existait pas (celui du poids de la chose). Je peux tenter de qualifier la nature de ma voix, mais je ne peux rien dire de ce qu’elle fait entendre, l’éprouvé de celui qui l’entend. Je ne peux pas dire non plus ce que j’entends moi-même de ma voix. De la même façon, je peux voir et décrire mes yeux, mais ne peux rien dire de mon regard. Et si tous deux supposent un autre qui les reçoit, il est, à cet endroit, mon alter ego. Nous pourrons décrire bien des choses, non sans talent, mais nous échangerons dans l’impossible communion d’un éprouvé dont le langage nous tient distants.

 

Son paradoxe

 

Voici le visage de la perte causée par l’empreinte des signifiants : aucun ne convoie l’éprouvé des sens qu’ils exaltent. Il n’y a pas de signifiant pour l’éprouvé des sens. Il s’éprouve. Il est un pur évènement de corps dont aucune matérialité sensible échangeable (un signifiant) ne peut rendre compte. 

 

C’est un nouveau paradoxe : les signifiants sont pures différences sensibles, mais aucun d’eux ne peut dire l’exaltation des sens qui les fait. C’est là l’en-moins du creux de l’empreinte. Une perte de sens à l’endroit même où les sens sont exaltés.

 

On peut se risquer à dire que le principe même du paradoxe prend sa structure de cette impasse. Il est « vécu » et n’est pas pour être résolu. Il est lui-même épreuve, celle de l’irrésolu, le double visage d’un impossible à dire. 

 

Son savoir

 

Mais nous savons cependant que nous éprouvons. L’éprouvé est bien un savoir. Il y a donc bien un « quelque chose » derrière ce savoir sensible, un quelque chose qui sait. Héritier du sujet kantien, on l’appelle sujet de l’énonciation. Il est un Je qui sait (qu’il éprouve), mais qui ne peut pas se dire lui-même : tombant dans l’énoncé au moment même du dire, il vient s’y abolir dans le Je grammatical, sujet de l’énoncé. Il est logiquement autre, mais lui est pourtant confondu. Indicible, il est voué à être représenté par un signifiant, le Je de la grammaire, le Je d’une convention, un Je qu’il n’est pas.

 

 
  • Les ambassadeurs et le futur antérieur

 

Représentants

 

Le sujet de l’énonciation, qui est donc celui qui éprouve et soutient l’acte de dire, est ainsi voué à être représenté sans jamais saisir son « être ». Les signifiants sont ses ambassadeurs. Orientés, ayant pris sens, ils le représentent…et le représentent seulement. De surcroît, un signifiant ne s’adressant qu’à d’autres signifiants, ils ne le représentent qu’auprès d’autres signifiants, eux-mêmes ambassadeurs orientés. La relation du sujet à lui-même (ou à tout autre) est irrémédiablement médiatisée par ces vas-y-dire. Elle passe immanquablement par le lieu tiers du langage et c’est en ce lieu seulement que le sujet trouvera les gages de sa propre existence. Ainsi le langage est-il notre lien autant qu’il nous aliène. 

 

À quelle adresse ? 

 

« L’être » de qui parle ne peut donc s’appréhender que dans l’après-coup de son dire, et, par-dessus le marché, depuis un lieu qui lui est extérieur. Tel est le statut paradoxal de l’énonciation et du sujet qui la supporte : faisant mon dire tout en s’y dissolvant, ils n’existent que par leurs conséquences. Et elles viennent du dehors.  

Tributaire de la structure logique signifiante, ils appartiennent eux aussi à un futur antérieur. « Pour que mon dire ait eu telle conséquence, il aura fallu qu’il soit produit par un autre Je que celui de mon énoncé, le je du sujet de mon énonciation, dont je ne fais que déduire après-coup et l’existence et la portée ». Ce Je, celui de l’énonciation, ne s’appréhende donc qu’aux conséquences signifiantes du dire. C’est  « passivement » qu’il les reçoit. Sa parole le détermine. En d’autres termes, Je est parlé. Qui parle est parlé. Par extension immédiate, qui travaille est travaillé, qui joue est joué. Dire qu’il reçoit du dehors les conséquences de sa parole suppose qu’elle soit adressée. A quelqu’un ?…sûrement, mais pas en sans passer ce lieu tiers, celui du langage. C’est en ce lieu d’abord que Je est signifié (représenté par un signifiant). C’est par ce lieu que mon interlocuteur passe lui aussi. Qui parle est signifié.. « Avant de signifier quelque chose, une parole signifie pour quelqu’un » Avant le sens, il y a l’adresse. Avant…

 

 

  • Convention

 

Il n’était donc pas suffisant à notre déception que la ronde incessante et autonome des signifiants nous échappe. Il est apparu de surcroît que l’être parlant était contraint d’en attendre la confirmation de son existence. Le potentiel infini de la mobilité du sens donne à cette ronde son vertige. Les sens en appellent toujours d’autres, avidement nourris de la singularité du corps qui parle et transforme la langue.

 

Un contrat

 

Bien que nous ne puissions dire l’éprouvé autour duquel nous tournons (et qui nous fait tourner), notre vie sociale s’organise pourtant autour de sa reconnaissance, de sa régulation, de sa dissimulation… Et à cet endroit, il s’agit de bien se comprendre. Il faut recourir à une qualité particulière du sens : la signification, un sens arrêté, parfois unique, voire interdit. Sans un peu de signification, on peut faire dire à un agencement n’importe quoi. Il part dans tous les sens. Un excès de signification en revanche assèche le discours au point d’en entraver le cours, au risque de le tarir. Il n’a plus de sens. 

Les significations sont filles des conventions, leurs clefs de voûte, qui relèvent toujours du contrat. Obligeant leurs contractants au respect de leurs termes, elles les lient (les unissent et les attachent). Une convention sémantique assure par exemple la communauté d’usage d’une langue et garantie aux membres d’un même groupe qu’ils s’y reconnaissent tous soumis (grammaire, usages du vouvoiement, registres, champs lexicaux…).

 

Repassons par les Trois Coups. Leur signification a toujours été portée par une convention (qui s’est aujourd’hui déplacée). Quelle qu’elle soit, il faut bien la force contractuelle d’une convention pour accrocher le signifiant létroicou à l’apparition de cinq éléments (un roulement, les trois coups, puis la chaîne qu’ils forment ensemble). Seule l’obligation relevant du contrat tient un tel forçage. C’est la garantie que donne une convention.

 

Un moment du sens 

 

Une convention vient donc tracer de grandes artères au sens. Balisant son cours de bornes, elle l’arrête, l’empêche, le contraint. Elle limite du même coup l’ambiguïté (et la portée) polysémique de l’équivoque signifiante (pêche). Elle la limite, mais ne l’empêche pas : le signifiant est autonome. Disons qu’elle canalise ses rencontres et relations. Il faut en effet préciser que la convention n’écrase pas le potentiel du sens, inévitable fruit de la traversée sensible du corps par les signifiants. De ce fait, la signification ne s’oppose pas au sens. Elle n’en épuise aucunement la vitalité ni les ressources. Elle en est un moment logique, socialement nécessaire. Elle contourne le paradoxe de l’énonciation et la perte de sens qu’il induit. 

 

Les langages musicaux en donnent l’illustration avec leurs grammaires (métriques, tonalités…). Leurs règles posent les bornes qui garantissent le minimum de signification nécessaire à l’usage commun. Le premier temps prend sa force de la convention métrique dans laquelle s’enchâsse sa signification rhétorique. C’est au nom de cette convention qu’il aimante avec une telle autorité le sens des signifiants qui l’entourent et viennent s’organiser autour de son pôle.  

 

La convention et le sensible 

 

Au passage, il ne faut pas croire que la convention tombe…du ciel. Si elle sait épouser l’arbitraire idéologique du prince, elle assoit parfois son autorité sur les lois du sensible. L’exemple des marches militaires le montre : leur métrique à deux temps s’appuie sur la nécessaire perception unanime d’une cadence gauche-droite. La discipline des Grandes Muettes l’a érigée en convention musicale. De même, certaines conventions harmoniques se sont appuyées sur des propriétés acoustiques remarquables pour formaliser certains langages et leurs esthétiques (le chant grégorien, les échelles chromatiques et diatoniques, le champ spectral…). 

 

Le principe contractuel de la convention culmine probablement dans les musiques improvisées et musiques non écrites. Qu’on reçoive une convention ou qu’on se la donne sur l’instant (improvisation générative), c’est la reconnaissance partagée de sa fermeté contractuelle qui autorise la liberté — et l’éphémère — des agencements, du discours, qui vont s’y dérouler.

 

On voit, au passage, l’immédiat potentiel de l’exploitation abusive du contrat conventionnel, qui aura tôt fait de s’introniser en tout lieu, enfermant le sens dans un réseau figé de significations. 

 

 

  • Point étape 2

 

Dire « qui parle est parlé, qui travaille est travaillé, qui joue est joué », c’est donc admettre que notre « être » est représenté dans l’ordre du langage par les signifiants qui nous auront traversés. C’est admettre aussi que le signifiant nous affecte, nous entame, en même temps qu’il s’offre à la richesse infinie des sens. Les conventions borneront ce potentiel. Il nous marque d’un en-moins paradoxal que jamais nous ne pourrons dire. Il est lui aussi altéré par cette rencontre, causant ainsi le vivant de la langue. C’est admettre enfin que nous trouvons notre existence à l’extérieur, dans l’après-coup de notre parole, ce qui implique qu’elle soit adressée avant de signifier quelque chose.

 

 

Io la Musica son

 

 

  • Ce qui se tient ici

 

Il faut laisser aux talents des historiens de l’art celui de traiter de leur discipline.

Nous en aborderons seulement ce qui est nécessaire au dépliage en cours.

 

L’art est cerné de conventions. Qu’il les observe ou les enfreigne, il s’en définit. L’espace de la représentation (la scène, une toile…) matérialise la première d’entre elles : celle de sa place. « Ce qui se tient ici, à cette place, est de l’ordre de la représentation ».

 

Risquons une sèche lapalissade en disant qu’une œuvre est un agencement de matérialités sensibles qui nous traversent et nous altèrent (des signifiants). Cet agencement est adressé. Cette double propriété fait de l’art un rejeton cousin de la parole. Il s’agit d’un dire, qui s’est certes choisi sa matérialité signifiante. Dire autrement ce que la parole est impuissante à saisir… mais on peut demander maintenant : autour de quel totem insaisissable tourne un dire sinon celui du mythique signifiant de l’éprouvé… ? Les conventions artistiques, exogènes aux grammaires des langues parlées, permettent peut-être de s’en approcher autrement, peut-être un peu plus. Qui sait ? On en touchera parfois un bout dont on dira « je ne sais pas comment te dire… ». 

 

 

  • Une promesse

 

Si le défilé de la parole la penche toujours vers l’avant (et nous avec elle), si elle s’adresse, c’est parce qu’elle est tendue par une promesse. Une promesse paradoxale : celle de trouver le signifiant qui manque, celui qui viendrait dire l’éprouvé du corps (le poids de la chose). Autrement dit, trouver le signifiant de l’éprouvé… du corps qui la fait parole. Tenue, cette promesse offrirait à la parole le signifiant qui lui permettrait de se dire en elle-même, elle et ce qui la cause. Cet impossible marque encore un paradoxe. Un pas plus loin, ce signifiant comblant l’ensemble le figerait en une compacité immobile et informe, lors même que la parole est faite de la mobilité-même des signifiants. 

Ces deux paradoxes convergent : la parole se jette à la recherche de ce qui l’abolirait. Redevable de son existence à son incomplétude structurelle, elle est condamnée par essence à ne pas trouver ce qu’elle cherche, qui pourtant, par son absence-même, la fonde et l’attire. Elle fait entendre un appel à ce qui viendrait la dire, l’aimante, mais l’abolirait sitôt saisi. Un impossible, qui la cause… et la fait causer. D’être irrémédiablement affligés du langage, de ne pouvoir dire l’éprouvé du corps, nous sommes condamnés à ces paradoxes. La métonymie signifiante nous emmène inexorablement vers l’avant, lestant de sens ce qui cherche encore et encore à se dire. C’est à cette structure que nous devons notre capacité à tenter, échouer, recommencer… Elle-même évènement d’un corps qu’elle sait insaisissable, la parole fait à elle seule, et de ce seul fait, civilisation.

 

 

  • L’irreprésentable

 

Certaines traditions spirituelles organisent rites et liturgies autour de cette place. L’iconostase du christianisme orthodoxe cache le Saint des Saints au regard. Sa place est soustraite au sensible. Si l’ineffable nom du dieu de la tradition juive s’écrit, si le chiffre s’en transmet, il reste, lui, imprononçable. Il est interdit de le prononcer. Son signifiant est banni du registre des matérialités sonores échangeables. Pour en parler sans le prononcer, on utilise souvent le mot « haShem ». Traduit en français, haShem veut dire « le nom ». Il désigne un nom imprononçable. Un signifiant sans matérialité, qui n’existe pas au registre du sensible. Une place vide derrière un voile qui fait parler. 

 

 

  • Io la Musica

 

Le génie de Monteverdi (plus tard celui de Claudel) dote la Musica de la parole, qu’elle prend, tendue par sa promesse paradoxale.

 

Jouant comme la parole de la matérialité sonore, la musique prolonge cette promesse qui, intenable, l’anime. Bardée de ses propres conventions, elle articule de nouveaux signifiants qui donnent à celui de l’éprouvé un autre miroitement. Il en serait presque saisissable. Le temps d’une œuvre, d’une phrase, d’un silence, on se plait à croire qu’il est là, derrière le voile, à portée de sens. Pour un peu, l’éprouvé y trouverait presque son signifiant, son chiffre, celui qui achèverait de me dire pleinement. 

Les très puissantes conventions musicales (formelles par exemple) surclassant celles de la langue parlée bornent l’espace de la représentation en même temps qu’elles en garantissent l’artifice. Nous croyons au mirage avec l’assurance et la foi de celui qui sait qu’il n’encourt pas le risque d’être contenté. En cet autre monde qui n’est pas le monde, on peut se laisser emporter, on peut risquer sans danger d’être comblé. La promesse qui fait la parole (et qu’elle ne peut pas tenir) pourrait bien ici, dans cet ailleurs, être tenue. On peut s’approcher un peu plus du voile dont un coin déjà se lève. On peut choisir d’oublier, dans l’instant suspendu du temps musical, que ce voile palpable ne cache… qu’une place vide. Celle qu’occuperait le signifiant qui n’existe pas. Et c’est une chance… grâce à ce voile, toujours de cette place nous pourrons nous approcher. Toujours il nous fera parler. Car nous savons que jamais il ne se lèvera. C’est d’ailleurs ce que nous lui demandons, nous sujets d’une parole fondée sur cette absence. Nous attendons du voile qu’il en perpétue le mystère, autre nom du paradoxe, dont la levée nous anéantirait. Son étoffe est peut-être celle de l’Esthétique. 

 

« Car le beau n’est que le commencement du terrible, ce que nous admirons tant il dédaigne de nous détruire » (R.M. Rilke, Elégies pour Duino)

 

 

 

  • Le texte agi

Le geste instrumental 

 

Discontinuité et discours

 

La vignette du cri mythique nous offrait une autre de ses conséquences : pour qu’il y ait du signifiant, il faut qu’il y ait discontinuité. 

Le plein et le vide ont la même structure. Ils sont tous deux homogènes, compacts, sans limites, donc informes. Aucune discontinuité ne vient en définir les contours, la texture… Ils n’offrent aucune accroche signifiante. Un ruban sonore continu est plein de sensation, mais vide de sens. Respiration, soupir, variation de débit, élision, consonnes, nasales, alternance du court et du long, enjambements… Autant de ruptures, mouvements, variétés et scansions qui viennent découper, ciseler, denteler, granuler la continuité envoûtante du ruban sonore de la vocalité.

 

Satisfaction

 

Car la production (et réception) du son est fort grisante. Le corps vibrant sait produire la sensation du plein. Et cette satisfaction sensorielle est essentielle aux explorations. Elle est aussi nécessaire : le ciselé d’une phrase se pose sur la continuité de son soutien. Mais elle a le pouvoir illusoire de combler, de prétendre à remplir le creux de l’empreinte, l’en-moins qui reste sans signifiant (l’éprouvé). Et combler, c’est figer. C’est l’un de ses enjeux : celui de l’absorption de toute discontinuité, de toute possibilité de discours, avalée par le projet d’une totale continuité, pleine de sa satisfaction.  

 

Technique

 

Les corps en scène sonnent. Si les chanteurs en donnent l’exemple le plus immédiat, les instrumentistes le savent eux aussi. Leur sonorité est directement corrélée à leur économie corporelle, à sa disponibilité à résonner (les bébés, si petits, en donnent une criante démonstration). Tout aussi immédiat chez les chefs d’orchestre, c’est d’abord un modèle de résonance que leur présence physique propose à l’orchestre, faisant de leur seule station le premier ferment du son qu’ils produiront ensemble. Non sans conséquence sur le discours à suivre. C’est bien avec la sensation, cette traversée du corps, que s’élabore la technique instrumentale, les moyens physiques affinés qui vont rendre au sensible la matérialité d’un réseau de différences. 

 

Et c’est encore un paradoxe, à déplier de bien des façons. Le geste instrumental est soutenu par une intensité sensorielle continue, condition de la discontinuité nécessaire au discours qu’elle sert. Ou encore : la technique instrumentale, ce savoir-faire de la discontinuité, repose sur la permanence d’une pleine continuité. Et du paradoxe, on sait maintenant qu’il est une épreuve de l’irrésolu.

 

  • L’interprète

 

« C’est ce je fais qui m’apprend ce que je cherche. » 

 

L’auteur

 

S’appuyant sur une convention (qu’il l’invente ou y souscrive), l’auteur oriente l’organisation des matérialités sensibles qu’il s’est données, leurs rencontres, transformations, trajectoires, qu’il consigne. Ce texte fait autorité (il a un auteur). Il arrive même, au cours de l’écriture, qu’il fasse autorité sur son auteur lui-même, alors conduit par l’implacable logique signifiante de la matière qu’il se sera lui-même donnée. Lui aussi, lorsqu’il écrit, est joué. Son propre texte le cause. 

 

Bien joué

 

L’interprète, qui est d’abord un lecteur, restitue à ces signifiants consignés leurs matérialités sensibles. Il les agit. Or, nous savons maintenant combien la logique du signifiant gouverne l’ordre du langage incorporé. Nous ne trouvons gage de notre existence subjective qu’aux conséquences de nos dires. De la même façon, incorporant la matérialité sensible des signifiants de sa discipline artistique, l’interprète trouve lui aussi son existence dans les seules conséquences de son acte. Il n’existe que dans cet espace médian, langagier, du texte qu’il agit, celui qui l’agit. Il est, lui aussi, le produit de son propre geste. Tout comme l’auteur, c’est son texte, agi cette fois, qui le cause.

 

On dit qu’un bon acteur est celui qui rend ses partenaires bons acteurs : il sait qu’il est joué par son texte, et il sait comment se faire jouer par ce texte qu’il produit. Il sait du même après-coup comment le texte joue un acteur, et sait proposer à ses partenaires les orientations signifiantes qui vont les jouer… les faire jouer… bien les faire jouer.

 

La présence

 

Autre illustration : la « présence » d’un artiste. Manquer de présence, c’était manquer de La Présence, celle du Roi, lieu premier et privilégié de l’adresse. Il ne s’agissait pas de la personne portant la couronne, mais de l’instance royale, pure conséquence langagière. Manquer de présence, c’est manquer l’adresse à cette instance, à ce lieu tiers, celui des signifiants. C’est manquer à cette adresse en croyant qu’on s’adresse à un sujet, à quelqu’un.

 

  • Ananké : le nécessaire et la répétition

 

C’est en faisant apparaître encore et encore les relations signifiantes auxquelles il donne corps que l’interprète pourra en comparer les conséquences. Nous sommes au cœur de la répétition. Probe, prova, rehearsal, on essaie, on ré-entend, on répète. C’est cette répétition qui fait apparaître les nécessités qui fondent et affinent une technique, articulation incorporée de ces enseignements. L’ordre des signifiants étant autonome (logique), chacune de ses redites opère comme une première fois, produisant ses propres après-coups, riches d’enseignements pour les suivantes. La représentation sera l’une d’entre elles (on sait bien que le travail, la transformation,  se poursuit bien au-delà de la Première).

 

L’interprète est donc lui aussi la conséquence de son acte, du texte qu’il fait exister au sensible. Sa relation à ses partenaires, à son auditoire, et à lui-même est médiatisée par ce lieu tiers, celui du texte agi et de ses conséquences. À la lumière de ces après-coups, il saura affûter le tranchant des signifiants qu’il énonce. Comme l’auteur, c’est après avoir bien énoncé qu’il pourra bien concevoir. 

Qui s’y risque mesure et apprend ce vertige. Il est structurel. Il semble qu’aucune discipline artistique n’y échappe.

 

  • « Je veux entendre le texte ! »

 

Cette phrase, prononcée dans bien des théâtres, ne dit pas « je veux comprendre le texte ». « Voglio sentirlo ! » Je veux l’entendre, que l’interprète rende le texte à sa matérialité pour que j’en reçoive la structure signifiante (les relations logiques), éclairé qu’il est des conventions qui lui font bornes. Celui qui prononce cette phrase ne fait pas valoir une volonté personnelle, mais une nécessité expressive. Le moment se présente de laisser venir à nous deux termes jusqu’ici évités.

L’expression

 

La structure fait creuset à sa propre expression. Car, que s’agit-il d’exprimer, d’agir au dehors, sinon les relations (signifiantes) qui, par leur discontinuité, font la structure de ce qui se dit. Comme pour la parole, le sens reste second, faisant cortège à ce qui d’abord s’exprime, se jette au-dehors. Il s’engouffre irrésistiblement dans les interstices de cette discontinuité structurante. Aussi incongru et inattendu que cela puisse paraître, l’expression est sœur de la logique.

 

L’émotion et l’obscène

 

Plus encore, il n’y a d’émotion artistique qu’au sein des conventions qu’une discipline se donne. Pour l’illustrer, l’acteur pourra se laisser surprendre par l’émotion qui le gagne, lui, acteur, joué par le texte qu’il est en train d’agir. Avec un peu plus de pratique encore, la voie s’ouvrira à l’émotion du personnage que son savoir-faire fait apparaître. Mais le texte (écrit, lu ou agi) étant notre seule matière, on sera fort embarrassé de l’émotion du sujet lui-même qui, pensant s’adresser à quelqu’un, grillera la priorité à l’acteur qu’il porte, à son savoir-faire. Cette émotion-là, celle du sujet, n’intéresse pas la scène. Elle est obscène.   

  • Et où donc vous produisez-vous ?

 

Lui-même produit par son acte, l’interprète, artisan du sensible, ne trouve son existence qu’à l’extérieur de lui-même : c’est du dehors qu’il reçoit les conséquences signifiantes de son geste. Un dialogue s’engage alors entre le texte qu’il reçoit et la traduction qu’il en agit. C’est par la répétition de cette conversation que se déduisent les points cardinaux, reliefs, et littoraux qui feront carte à l’orientation de son geste autant qu’à son devenir. 

 

Mais les nécessités techniques que réclame son agir ne pourront s’appuyer sur la seule sensation, toujours prompte à se satisfaire de sa permanence, de sa nécessaire continuité. C’est bien la discontinuité qui viendra modérer ce dialogue pour façonner et former la matérialité du texte agi. Il n’y a pas de forme sans perte. 

 

Qu’il le veuille ou non, du sens s’engouffrera dans le souffle de ces scansions. Il apprendra à le reconnaitre comme un effet second de la matière qu’il sculpte, éclairant encore après-coup les relations signifiantes qu’il a fait apparaître.

 

Mais il n’y a d’expression artistique qu’au sein d’une convention. Il lui faudra donc d’abord, par l’analyse, repérer structure, réseaux de différences, rapports et agencements, autant de relations gouvernées par l’implacable logique de leur après-coup… il y repèrera bien d’autres choses encore qu’il saura lire entre les lignes …et éprouver. Avant d’apparaître au paradoxe de la scène, c’est là d’abord que de l’artiste se produit.

Io la Musica son
Le langage incorporé
Introduction
Un réseau de différénce
Premisses
Déja des conclusions
Point étape 1
Le sensible, le chronologique et ...
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