La Logique révèle un autre ordre que celui issu de la perception. Les liens de causalité, que nous pensons inévitables, que nous disons « logiques », s’en trouvent bouleversés, révélant leur caractère imaginaire (le fantasme est inévitable) face à la Logique que Lacan aura appelée Science du réel. L'expérience analytique dévoile en effet que la fracture véritable, celle que nous compensons de fantasme en symptôme, ne sépare pas le psychique du physique (frontière imaginaire), mais le psychique du logique (limite interne à notre condition, réelle).
Jamais 2 sans 3.
Pour rendre à cette expression sa valeur logique, il faut accepter de s’éloigner de son interprétation superstitieuse. Ce qui se produit deux fois en appellerait une troisième, répondant aussi à la fameuse « loi des séries ». Tentative de commentaire fataliste d’une ordinaire chronologie ordinale, qui nomme et ordonne en fonction de ce qui est perçu. 1, puis 2, puis 3. Mais la chronologie est elle-même un après-coup compensatoire des lois logiques qui gouvernent le logos, qui sont les lois du signifiant. Car ces lois ne nous demandent pas notre avis. Nous y sommes assujettis. Nos corps en sont pétris et elles en jouent, conduisant chacun à produire un savoir singulier qui lui reste insu. Unbewusst, inopinément traduit par Inconscient, qui aura fait dire à Freud que l’Homme n’était pas maître chez lui.
Pour ce dont il est question ici, disons d’emblée que le 2 ne précède pas le 3. C’est l’apparition du 3 qui est nécessaire à celle du 2. Le 3 permet le 2. Il le précède. Il est la condition de sa possibilité.
Car pour qu’il puisse s’en compter deux, il faut (nécessité) qu’un terme entre en relation avec un autre qu’il n’est pas. Alors seulement, par cette mise en relation, ils pourront constater leur distinction et faire deux, se sachant séparés, coupés l’un de l’autre. Faire deux fera donc suite au truchement d’un troisième terme, qui est relation. Un se distinguant de ce qu’il n’est pas, qui lui est autre, cette relation s’établit donc au lieu de la différence, qui est aussi le lieu de la coupure, fossé irréductible et infranchissable (qui relève du registre du Réel). Ainsi séparés par la béance de ce qui les a distingués, l’un et l’autre sont d’emblée inaccessibles l’un à l’autre. Leur relation apparaît du fait d’une non-adhérence. Elle est concomitante d’une impossible conjonction, d’une impossible rencontre. Nous dirons qu’il y a relation faute de tout possible rapport inscriptible (façon expéditive de dire à nouveau avec Lacan qu’il « n’y a pas de rapport sexuel ». Et là aussi, c’est tout aussi bien parce qu’il n’y a pas de rapport sexuel, que des relations sexuelles, il y en a. Voir le post Je ne vois pas le rapport).
En attendant, conclusion provisoire : un troisième terme est nécessaire à la possibilité d’en distinguer deux.
Pas 2 sans 3.
Faisons le pas suivant. Un terme ne trouvant son statut que par sa différence d’un autre, aucun des deux, ni l’un ni l’autre, n’existe par lui-même. Ils n’apparaissent pas en eux-mêmes, mais uniquement parce qu’ils n’en sont pas un autre. Or, un autre n’apparaît qu’au prisme de sa relation avec l’un. Leur relation à ce qu’ils ne sont pas est la condition de leur apparition. Ceci vaut pour l’un comme pour l’autre. Ainsi, après avoir donné la possibilité de compter deux, le troisième terme, relation, est aussi la condition de l’apparition du un, qui, lui non plus, n’est pas sans relation à l’autre qu’il n’est pas.
Le 3 donne donc non seulement sa possibilité au 2, mais aussi au 1.
Pour que 1 consiste, il y aura toujours déjà eu recours au 3.
Se profile l’armature du dieu trine.
La relation est donc première. Elle pré-existe aux termes qu’elle médiatise. Elle définit non seulement des places, mais distingue aussi les termes qui les occupent.
La Logique nous porterait au lieu mythique (lui aussi approché par les mathématiques) du un sans autre, le un-tout-seul, le un d’avant tout autre. C’est une avancée nécessaire à la Logique elle-même.
Elle n’invalide pas que, pour nous, les trumains, il y aura toujours déjà eu de l’autre. Qu’il s’agisse de l’autre qui nous a toujours déjà précédés, ou de l’autre dont nous dépendons, c’est toujours une relation qui nous devance pour nous faire apparaître en regard d’un autre, qu’elle révèle du même aprés-coup.
La relation est un déjà-là.
Elle nous est donc elle-même autre…
Et nous l’avons incorporée.
(À suivre)
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