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Photo du rédacteurA. Piquion

Ô Isis und Osiris


Novembre 2021


"Phallique" à tous les coins de conversations...mais de quoi parle-t-on ?


C’est très précisément la question : le phallus, c’est justement ce qui fait parler et il ne peut pas être appréhendé si l’on reste captif de l’image de l’organe.


Repasser par un mythe

Seth assassine son frère Osiris en l’enfermant dans un sarcophage fermé au plomb.

Isis, soeur et femme d’Osiris, récupère cette dépouille au fond des marais, à la plus grande fureur de Seth qui découpe alors le cadavre de son frère en quatorze morceaux, qu’il éparpille à travers l’Egypte. Isis, changée en faucon, les retrouve tous à l’exception d’un : le pénis, qu'elle cherchera encore. Ne le trouvant pas, elle façonne pour la momie d'Osiris un semblant d'organe d'argile dont elle se féconde après avoir redonné vie à Osiris d’un battement d’aile. Elle ordonne enfin l’érection de treize obélisques à travers l’Egypte afin de commémorer sa recherche et les avènements que cette perte aura permis : Osiris entrera à la Douât, le royaume des morts sur lequel il régnera et un fils naitra de cette union inédite, Horus, fils de la Lumière, héritier pharaonique, modèle des rois à venir.


Spermatikos, le père, les morts


Isis est fécondée par un tenant-lieu, un représentant investi de l'aura de la chose qu'il représente.

On reconnaît là une propriété du langage. Un signifiant est un représentant. Et ici c'est lui qui féconde.

On parlera plus tard, de l'autre côté de la Méditerranée, du logos spermatikos, le verbe qui insémine.


Le mythe d'Isis - dont le culte va perdurer jusqu'au Vème siècle - donne de ce verbe inséminant quelques propriétés remarquables.


1. Le logos spermatikos branche la génération à la parole (le désir est l'un de ses rejetons).


2. Faisant naitre le fils, il produit le père, effet d'une opération symbolique, langagière. Père est bien une fonction (dont un sujet sera dépositaire) indissociable de l’ordre symbolique. Il n’y a de père que par la parole. On disait à Rome "Mater certa, pater semper incertus". L'apparition du père est un évènement langagier, qui passe d'ailleurs par sa reconnaissance. Il n’y a du reste de père que reconnu dans la parole de la mère. Pour le dire comme Freud se plaisait à le répéter : "le père, c'est si la mère veut bien". C'est bien de la fonction paternelle qu'il s'agit, non de la présence de quelqu'un. Osiris est bel et bien mort. Le mythe rappelle aussi que le langage, qui nous donne la vie, nous donne aussi la mort. "Le mot est le meurtre de la chose" disait Lacan. Et puis, nous, parlants, savons que nous allons mourir au point de faire de la mort un domaine, un royaume, fût-il fait de rien.


3. Osiris, mort et père, accède alors au royaume sur lequel il va régner, celui des morts. Quel est ce royaume sinon celui du pur registre symbolique lui-même ? Après le nécessaire travail de désincarnation que nous appelons deuil, au cours duquel nous apprenons à séparer les corps des mots qu'ils ne peuvent plus incarner, nos morts n’existent plus que par leurs noms dans le seul registre des mots, qui est le registre symbolique.

C'est cette responsabilité qui incombe à Osiris fait père et mort : il devient le garant de l'ordre symbolique. Il en répond.


On voit déjà dans ce mythe que la fonction paternelle, qui suppose la mort de celui qui l'incarne, est aussi garante de l'ordre symbolique, non sans l'accord de la mère (qui, elle, n'est pas qu'une fonction).


Fonction paternelle, ordre symbolique, tu ne touches donc pas à l'un sans faire bouger l'autre. Cette maxime vaut aussi pour le père en chair et en os, qui aura tôt fait de se confondre avec la fonction qui le traverse.


Les vrais phallus

Si les obélisques commémorent la recherche de l'organe par Isis, c'est parce qu'ils en signifient l'absence. C’est en cela qu’ils sont de vrais phallus. Ils ne sont pas les remplaçants d’un objet. Ils sont les tenants-lieu d'un objet qui n'a qu'une seule modalité d'existence : celle de n'être pas là. Et c'est cette absence qui permet "la mobilité de l'ensemble", à la façon du jeu du taquet dont la pièce manquante permet la mobilité des autres. En ce qui nous concerne, cette absence (et la mobilité qu'elle permet) ouvre au registre de la discontinuité, qui est aussi celui de la différence (les qualités sensibles, dont les mots). Et ces différences créent entre elles des potentiels qui les orientent, faisant de cette absence une puissance. Le phallus est un pas-là qui permet l'entrée dans le registre signifiant.


D'abord signifiants positifs d'une absence, les obélisques deviennent donc ambassadeurs d'une puissance qui trouve son origine dans un pas-là, autrement dit, dans un manque. Et cette puissance paradoxale, qui concerne les hommes comme les femmes, ne laisse pas indifférent. Il ne nous échappe pas qu'elle nous passive, ce dont nous ne voulons rien savoir.


Si bien que voici notre lot : feignant d'ignorer que cette embarrassante puissance nous passive, elle qui est par dessus le marché issue d'un "pas-là", qu'est le phallus, nous lui préférons le pouvoir illusoire de l'objet prétendument (re)trouvé, qui prend alors valeur de fétiche. Son ambition : cacher ce qu'il n'y a pas, masquer le "pas-là" qui passive. Et cet objet, nous serons rapidement intéressés, les uns et les autres, de savoir qui l'a...ou qui l'est.


Ces premières distinctions permettent d'ores et déjà d'éviter les pièges tendus autour des termes de phallus, de père, et de leurs dérivés.



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